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Comment mon père Michel Prik senior en est-il arrivé au parachutisme sportif ? Avant de répondre à cette question, il faut revenir à son histoire personnelle.


Ceux qui l'ont connu, un peu ou beaucoup, savent quelle importance il attachait à ses origines russes. Et pourtant, mon père était moins russe que karaïm mais n'en avait lui-même que peu de connaissance.

 

Très méconnue dans le monde occidental, la communauté karaïm est apparue au huitième siècle pour former progressivement et véritablement un peuple aux croyances, à la culture et à la langue -proche du turc- spécifiques autour du bassin méditerranéen dont l'apogée est à situer au 12ème siècle. Leur activité principale était liée à l'écriture et en particulier les textes bibliques qu'ils reproduisaient avec une grande fidélité. Le terme kara signifie "lire", "étudier", "inviter", "appeler". Le nom Prik provient du mot Ferik qui signifie "jeune coq" en turc -explication donnée par Simon Szyszman dans son livre Le Karaïsme paru en 1980 aux éditions l'Age d'Homme-. Les Karaïms étaient connus pour leur esprit de tolérance, il semble qu'ils aient été remarqués par Voltaire. Les principaux écrits qu'ils auraient laissés ont été recueillis dit-on au 19e siècle par Abraham Firkowicz et seraient conservés par la bibliothèque de St-Pétersbourg en Russie. Mais les Karaïms avaient également des qualités militaires qui intéressaient les armées notamment russes et lituanienne pour leurs gardes rapprochées et il reste de fait aujourd'hui encore une dernière petite communauté de Karaïms à Trakai, ancienne capitale lituanienne.

 

Jacob Prik, père de Michel Prik venait de Simféropol en Crimée, presqu'île de beauté de la mer noire où résidait une importante communauté Karaïm dont on retrouve aujourd'hui des curiosités touristiques locales. Chassé par la révolution russe, recruté à Istambul pour la reconstruction de la France des années 20, c'est ainsi que Jacob a refait sa vie avec plus de difficultés qu'il ne l'imaginait sans doute. Sa disparition en 1949 le jour de son cinquante-septième anniversaire est très certainement liée à toutes les turpitudes de ces époques.

 

L'histoire Karaïm est controversée, le peuple karaïm était proche des juifs mais assez différent pour ne pas être persécuté. Les deux communautés se sont éloignées l'une de l'autre à un point tel que l'on peut rencontrer des juifs qui reprochent aux karaïms de ne pas avoir été déportés ! Par la suite et contrairement aux juifs, les karaïms ont fini par s'intégrer et se fondre totalement dans les différentes nations où ils résidaient. On estime leur nombre aujourd'hui à quelques milliers dans le monde, dont on trouve partiellement la trace sur l'Internet.

 

Il semble que de tout cela, trop jeune sans doute avec un père disparu trop vite, Michel Prik n'ait pas eu conscience. Il se considérait comme russe mais avait en réalité très certainement une culture Karaïm sans le savoir. Sa mère, en provenance d'Istambul mais qui n'était ni russe ni Karaïm, cultivait de son côté ses origines grecques. Dans ce contexte, Michel Prik s'est plus tourné vers son avenir en ignorant l'essentiel de son passé. Ce sera sa force et sa faiblesse.

Michel Prik, à Gauche, dans la zone libre en 1943 près de Mussidan
Michel Prik, à Gauche, dans la zone libre en 1943 près de Mussidan

Pendant les années de guerre où il était adolescent, afin d'échapper au STO qui l'aurait emmené en Allemagne, Michel Prik a été amené à passer la fameuse ligne de démarcation pour rejoindre une ferme en Dordogne -non loin de Mussidan-. Cette ferme a disparu, on ne sait pas si elle était dans le lot des représailles pour lesquelles la région est connue. Toujours est-il que de là, mon père a rejoint -en traversant l'Espagne- les forces françaises en Afrique du nord pour effectuer ses trois premiers sauts militaires à Boufarik -où il retournera dans les années 50- sur Dakota avec les américains le 20 mai 1944 à l'âge de 18 ans, en préparation du débarquement de Provence sous le commandement du général de Lattre. Débarquement auquel il participera mais qui s'arrêtera à Strasbourg en raison d'un.. accident de la route où il sera blessé. Passionné d'aviation, sa période militaire lui permettra de s'initier au vol à voile, mais son expérience aéronautique hors parachutisme s'arrêtera là. Ses fonctions l'amènent à devenir moniteur de close combat.

 

Il n'effectuera de nouveaux sauts qu'en 1946, à Pau, et son activité parachutiste militaire se portera à sept sauts.

Son temps d'armée effectué, Michel Prik suivra alors dans le civil une formation d'ajusteur qui ne le satisfera pas. Il reprendra en parallèle une activité de moniteur parachutiste pré-militaire et commencera une nouvelle activité de sauts à partir de 1948 à Persan, Mitry, Orléans, qu'il poursuivra sur quelques quarante ans. Il participe aux premières séances de formations parachutistes sportives civiles fin 1948 et effectue sa première ouverture commandée, dans le cadre du tout premier stage organisé au centre national de Saint-Yan en juin 1949 avec Sabatier et Lard comme moniteurs.

 

Puis en 1950 il effectue régulièrement des sauts à Creil, qui est alors le premier centre régional, il obtiendra son brevet 2ème degré qui l'autorisera à participer à des meetings, et achètera le premier parachute vendu à un civil (Aerazur 687 numéro 1003). La même année il effectuera des essais sur rampe du premier siège éjectable français.